Commune d’Eséka au Cameroun : Le maire sur un siège éjectable ?

Plus de la moitié des élus qui composent le conseil municipal demandent sa destitution dans l’urgence pour fautes lourdes et des faits qu’ils qualifient graves, en violation des textes du code général de la décentralisation.
Sylvain Moïse Tjock, maire de la Commune d’Eséka le sera-t-il jusqu’à la fin de son mandat ? C’est la principale interrogation en ce moment où une nouvelle crise secoue la Collectivité Territoriale Décentralisée (Ctd) du chef-lieu du département du Nyong-et-Kelle. 15 conseillers sur les 23 constitués ne veulent plus de lui à la tête de l’exécutif. Parmi eux son premier adjoint Ngue Nkoum Moïse. Ils imputent au maire des fautes lourdes, et des faits d’éthique, de gestion et de déontologie qu’ils qualifient graves. Regroupés en collectif, les 15 dissidents l’ont saisi par courrier arrivé le 21 mai 2025, via le préfet de cette circonscription administrative pour solliciter la convocation d’une session extraordinaire de conseil municipal.
Au nombre des éléments avancés pour justifier leur demande, figurent un faible taux d’exécution du budget de l’année 2023 et de l’année 2024 ; l’utilisation des fonds non budgétisés d’un montant de plus de 150 millions fcfa sans délibération du conseil municipal ; le non-respect des attributions de l’organe délibérant et la violation grave des dispositions dans la soumission et la passation des marchés publics. Le collectif évoque également l’endettement excessif qui a entrainé le non-paiement des salaires des agents communaux depuis 7 mois, le refus de formations et d’informations des élus locaux suivant l’article 126 et 127 du Code Général Des Collectivités (CGCTD) et le recrutement intempestif des temporaires au mépris des circulaires ministérielles. Et surtout, les relations permanentes délétères avec les sectoriels et les forces de maintien de l’ordre. « Fort de ce qui précède, et dans l’optique d’essayer de sauver la commune d’Eséka pour le peu de temps qui reste, nous vous prions, monsieur le préfet, de bien vouloir prêter une oreille attentive à notre demande » concluent-ils leur correspondance.

Conseil extraordinaire
L’autorité administrative, tutelle de la Ctd, semble justement enclin à prêter une écoute attentive au regard de la situation délétère au sein du conseil. Le 22 mai dernier, le préfet Chaïbou a fait tenir la requête du collectif au magistrat municipal avec pour objet ‘’ convocation d’une session extraordinaire de conseil municipal’’ pour compétence’’ (du maire ndlr). Ce, conformément à la loi n°2019/024 du 24 décembre portant CGCTD. Laquelle dispose en son article 172(1) relatif à la section III du fonctionnement du conseil municipal que : « Le maire peut réunir le conseil municipal en session extraordinaire chaque fois qu’il le juge utile. Il est également tenu de la convoquer quand une demande motivée lui est adressée par les 2/3 des membres. Toute convocation est signée du maire et précise l’ordre du jour. Le conseil ne peut traiter d’autres affaires en dehors dudit ordre du jour ». C’est dire que Sylvain Moïse Tjock se trouve à l’étroit, dans un engrenage indescriptible. Osera-t-il convoquer un conseil qui signe son arrêt de mort ou se mettra-t-il en marge de la réglementation ? Laquelle prévoit au bas de l’article 172(1) qu’au terme d’une mise en demeure restée sans suite, le représentant de l’Etat (le préfet ndlr) peut signer les convocations requises pour la tenue d’une session extraordinaire du Conseil Municipal.

En tout état de cause, l’élu local n’entend pas rester les bras croisés. Lui dont le bilan en 5 ans fait état de services louables très bien appréciés par les populations de sa circonscription communale. En effet, la majorité des citoyens d’Eséka penchent positivement pour lui. Paradoxalement à ce qui lui est reproché par le collectif, Ils présentent sa mandature comme étant l’une des meilleures qu’a connu la contrée de Ruben Um Nyobe et Théodore Mayi-Matip. De 2020 à 2025, la commune a acquis de nouveaux équipements (matériel de bureau) pour le personnel, de nouveaux équipements technologiques pour améliorer la performance (caméras, biométrie, ordinateurs), et de nouveaux équipements pour l’enlèvement des ordures et la maintenance des espaces verts dans la ville. La ville n’est pas délabrée comme prétendue. La voirie urbaine connait un meilleur assainissement et l’urbanisation du centre-ville est au top. « Le maire a activement participé à la construction ou finition de stèles, monuments ou bâtiments publics (tribune municipale, centre culturel etc. Il a construit la cité municipale ; il a construit plus de 60 forages, adductions d’eau potable et réhabilitation des points d’eau. Il a mis en place la bibliothèque et la fanfare municipale et a acquis du matériel de sonorisation. C’est sans compter la réhabilitation des routes et la construction d’ouvrage d’art de traversée ainsi que la construction, la réhabilitation et l’équipement des centres de santé. Mais que lui reproche-t-on au juste ? » a réagi un citoyen d’Eséka joint au téléphone.

Dans la même lancée, d’autres mettent en lumière des réalisations concrètes telles que la construction et l’équipement des écoles, l’électrification rurale et l’éclairage de quelques points critiques dans la ville, la lutte contre le désordre urbain, la sécurisation des aliments dans les marchés et l’organisation de grands événements sportifs. « À retenir de cette mandature : » Le Maire Tjock a rendu Eséka propre ; il a donné de l’eau potable aux populations par la construction des forages partout ; il a pris soins des populations par la construction, la réhabilitation et l’équipement des centres de santé ; il a assuré l’avenir de nos enfants avec la construction, la réhabilitation et l’équipement des écoles maternelles et primaires. Merci beaucoup monsieur le maire, nous vous soutenons « . A écrit un internaute vivant à Eséka.
PCRN contre PCRN
Ce bras de fer entre une partie du conseil et le maire d’Ezéka n’est pas nouveau. Elu à la faveur des échéances électorales du 9 février 2019, l’édile de la ville d’Eseka depuis ce jour n’a pas connu de longue période sans soubresauts. La commune étant entièrement acquise à la faveur du Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale (Pcrn), les relations ont toujours été tendues entre les fonctionnaires, cadres administratifs et lui. Ce qui explique le climat délétère dont a fait mention le collectif. En effet, par plusieurs fois au cours du mandat, des frictions certainement nées de son appartenance au Pcrn l’ont opposé au délégué départemental des mines d’Eséka, à Nchotu Jonathan Fuh et à Bitanga Bienvenu, l’un commandant de compagnie et l’autre commissaire de police de la ville d’Eséka. Le cas le plus patent est cet incident violent qui a éclaté courant 2024 entre lui et le commissaire de la sécurité publique. L’altercation, qui a rapidement dégénéré, a abouti à l’hospitalisation de Sylvain Moïse Tjock.
Mais ce qui est plus incompréhensible c’est la dissidence au sein du conseil qui est pourtant entièrement acquis au PCRN. Il existe comme une bataille d’intérêt entre ces membres de la même formation politique. Autant ils accusent le maire autant ce dernier se disculpe et les indexe. L’une des récriminations, notamment celle de la gestion opaque et l’utilisation des ressources non budgétisées serait infondée, de même que celle du recrutement intempestif. Il se trouve, d’après une source proche du magistrat municipal, que depuis le début de l’année dernière, une tranche de conseillers ont entrepris de prélever à la base certaines taxes communales auprès des contribuables avec une certaine complicité dont les noms sont tus. La magouille a duré longtemps ramenant au bas de l’échelle les recouvrements fiscaux. Le 15 mai dernier, le maire a commis un communiqué radio informant les usagers que « toutes transaction ou opération financière de recettes pour la commune d’Eséka doit se faire uniquement à la caisse contre délivrance d’une quittance ». Puis, par arrêté municipal 004 du 16 mai 2025, il a créé une Unité de Suivi de la Fiscalité Locale ( USFL) à Eséka en désignant les membres qui en seront chargés. « Le fait d’avoir mis fin à ce réseau mafieux qui se sucrait au détriment de la commune énerve ces conseillers dissidents » déclare la source.

Quant à l’absence des salaires des agents communaux, une autre source indique que le lundi 5 mai, le maire a tenu trois séances de travail avec les agents communaux afin de les écouter, comprendre leurs difficultés et trouver des solutions pour améliorer leur quotidien au travail. « Il s’est engagé à apporter des solutions concrètes à court terme malgré la conjoncture économique qui sévit actuellement dans notre pays en général et dans les CTDs en particulier ».

Les observateurs restent donc très attentifs sur la suite des événements. Le maire convoquera-t-il cette session extraordinaire ? Si oui, parviendra-t-il à faire dissiper les malentendus et à conserver son siège à l’exécutif pour terminer les projets restants dans les pipes à savoir l’acquisition d’engins de BTP ainsi que l’éclairage public solaire ? Il nous souvient que l’an dernier, 13 sur 25 conseillers de cette commune avaient adressé une demande d’invitation au préfet pour une assemblée extraordinaire aux fins de destituer Sylvain Moïse Tjock. Mais le préfet avait annulé cette session, enlevant la possibilité aux conseillers frondeurs de donner un coup de massette sur la tête du chef de l’exécutif. Ce n’est peut-être pas le cas cette fois-ci. L’ambiance politique demeure électrique dans cette partie de la région du Centre.